« Je suis inaudible tel la lumière encore
Je médite sur le silence
jusqu’à tordre le coup à la peur
Celle de l’autre et la mienne intime
Ainsi on dirait que je suis
comme les aveugles qui se retournent
En secret nous glissons dans les ténèbres par le chas de l’aiguille »
La qualité du texte de Kunze (qui dépasse l’exercice d’admiration) tient tout autant dans sa volonté d’expliquer la trajectoire de Skácel (d’abord manœuvre sur un chantier puis contraint aux travaux forcés par le Reich avant de devenir journaliste pour la radio puis directeur de la revue littéraire Host do domu) que dans les judicieux et longs extraits qu’il donne des poèmes et chroniques de celui qu’il vénère. Il montre comment la réalité, le rêve, la mémoire et la réflexion s’entremêlent pour enrichir la vie intérieure d’un être intègre qui ne s’exprime qu’avec parcimonie, cherchant à rendre visible les choses infimes. Dès qu’il touche à la fragilité de ce qui l’entoure, celle-ci entre en résonance avec la sienne, due en partie à un corps mal en point qui ne répond pas toujours à ses attentes..
« Nous sommes tous des blessés et un homme vulnérable doit être soucieux de sa guérison, faire des promenades prolongées, aller de l’avant calmement, écouter beaucoup et attendre que les forces reviennent. »
Skácel est aujourd’hui considéré – avec Jaroslav Seifert (1901-1986) et Vladimir Holan (1905-1980) – comme l’un des plus importants poètes tchèques du vingtième siècle. Ses recueils, longtemps passés sous silence, ont peu à peu été réédités, trouvant enfin des échos durables dans les journaux, et des soutiens à l’extérieur de son pays grâce en particulier à Peter Handke et à Milan Kundera.
« J’ai toujours aimé les poèmes de Jan Skácel, écrivait Milan Kundera en 1985, mais lorsque j’ai reçu son livre avec les cent quatrains, après dix ans en France, j’ai compris que depuis la mort de Vladimir Holan, il est le plus grand poète tchèque. Ses vers sont pour ainsi dire l’incroyable alliance de la plus haute simplicité et de la pensée la plus profonde.»
Le livre de Reiner Kunze (dont deux ensembles de poèmes – Nuit des tilleuls et L’étang est ma table – ont précédemment été publiés par les éditions Calligrammes) permet, tant par sa concision que par l’empathie qui s’en dégage, de mieux pénétrer dans l’univers intime d’un auteur qui défrichait sans relâche, seul mais néanmoins au milieu des autres, cherchant toujours le contact, respectant avant tout la particularité de chaque être.
« Je n’ai jamais écrit un vers dans mon appartement, j’ai besoin de marcher, de la pluie…, la poussière des routes en terre, le balancement des feuilles dans les arbres, j’en ai besoin ainsi que de rencontrer des gens inconnus. »