Je nomme Corbière par provocation ! Pour indiquer la nécessité absolue d’acquérir par tous les moyens l’Anthologie de la Poésie de Bretagne, éditée par les éditions Calligrammes. Et sans chance aucune d’y trouver une allusion à notre Roscovite pour la bonne raison qu’il n’a pas vécu au XXème ! Une anthologie est d’abord un choix.
Les poètes qu’on lit sont nos frangins de Bretagne
Trouver cet ouvrage pour retrouver une fraternité. Trois cent pages et quelques entre frères, à égalité de roches rondes ou de crêtes schisteuses, à égalité d’âtres et de pieds lourds qui s’y posent. Les poètes qu’on lit, à la queue leu leu ou dans l’ordre qu’on veut sont nos frangins de Bretagne, notre parentèle nécessaire. Saint-Pol-le magnifique-Roux, Max le fieffé Jacob, Victor des bois d’Huelgoat avec le livre entre ses mains et au pied la tige en biseau qui le tue, Guillevic dont chaque mot est menhir ou chaque étier le respire, Armand Robin dont le cri du chêne a toutes les langues vivantes, Angèle Vannier aux yeux grand ouverts, René-Guy Cadou le doux et Hélène de l’aube et de son sacre, Georges Papiers Collés Perros, Heather St Brieuc Dohollau de ses ponts par-dessus et venelles en-dessous, Xavier Fou de Bassan Grall, Jean Paul Hameury des nuits blanches et des jours noirs, Kenneth White géolexicographe breton du monde, Danielle Collobert tiret pour expirer autant qu’expier, Gilles Baudry saint dans son sein, Yves Prié qui, son nom l’indique, Yvon le Tregor où l’univers le Men, Anne-José Lemonnier des chemins et cheminées de lumière. Ils sont tous là, leurs mots se lisent, on le disait, à suivre car la Bretagne est là, ses voix multiples que la poésie démultiplie ou dans le désordre, c’est le même pays. La Bretagne-Univers !
Au plein succède le vide, et ce à l’infini
Yvan Guillemot qui signe une belle préface nous montre, à l’instar d’un collectionneur, l’art de l’anthologie. Ces sortes de cimaises dont il parle à raison montrent une cohérence, par rapprochement ou formes diffractées, et ce n’est pas que sa fantaisie de collectionneur mais autre chose qui s’impose : quoi, sinon l’iode ? Quoi, sinon une matière complexe, multiforme, un feuilletage de pierres et d’hommes à lichens, de mers et de vaches en troupeaux qui rentrent à l’heure et repartent ? Quoi, sinon les vents communs, les pluies et la marée dont, Jean Grenier le briochin de Lourmarin, maître de Camus et frère de Guilloux, fait une philosophie : au plein succède le vide, et ce à l’infini.
On peut craindre l’aléa du choix, même aimer son arbitraire ou, c’est vain, regretter que beaucoup n’y soient pas. Fausse déception. L’exhaustivité nous priverait même de nommer ceux qui manquent, nous faillirions ! Non, cette anthologie donne à sentir, à entrevoir l’essentiel et appelle à d’autres essentiels, dont les poètes qui n’y sont pas ou ceux qui, en ce moment même, grattent le papier, sillonnent les nuits ou rêvent en marchant. Peu en Bretagne se soustraient aux odes de l’iode et aux horreurs de certaines aurores. L’anthologique n’est pas qu’antalgique ! Tout n’est pas que doux dans ces poèmes, chez ces poètes. Leur écriture nous dit de leur ventre autant que de leur âme, de leurs douleurs, et de leurs pertes aussi. La mort rôde. Elle a beaucoup décimé de ces poètes. Elle décimera encore dans ce pays, la Bretagne, où mort et vie se tressent et se tissent et où les mots subsument la disparition des chairs. Des anthologies aussi, les ossuaires ! Lisons patiemment ce beau livre sans penser déjà aux prochaines anthologies. L’écriture poétique ne sera jamais finie.