Le moine et la photographe : poésie en presqu’île de Crozon

Photo Vincent Le Guern

Le poète Gilles Baudry et la photographe Aïcha Dupoy de Guitard affichent 35 ans d’écart mais partagent le même émerveillement du lieu où ils vivent pleinement, à Landévennec, sur la presqu’île de Crozon.  Portés par un flot d’émotions partagées, un moine-poète de l’abbaye de Landévennec (29) et une photographe éprise de nature et de surf signent un troisième ouvrage intitulé « Infinitudes ».

Feuilleter « Infinitudes », c’est mettre sur pause et s’affranchir d’une actualité souvent douloureuse et chaotique. C’est se blottir au creux des textes courts, à la métrique libre, de Gilles Baudry et lâcher prise dans les ambiances photographiques vaporeuses d’Aïcha Dupoy de Guitard. Leur poésie se nourrit de la force de la nature et respire de leurs émotions respectives. « On a l’air différent, comme ça, mais on partage tellement de choses », commence la photographe, consciente que leur lieu de vie, en presqu’île de Crozon, se prête au recueillement et à l’élévation des âmes.Combien de plages, de sentiers et de bras de mer secrets ? « L’estuaire n’est autre que la mer, nous recevant à bras ouverts », pose, dans son style caractéristique, le poète Gilles Baudry, longtemps resté dans l’ombre. Dans un monde où tout va si vite et où l’on ne prend plus le temps ni la peine de regarder, le duo livre une esthétique apaisée, la profondeur d’unenature débordant de spiritualité.

Rencontre dans un chemin creux

Si différents en apparence, les deux nourrissent une étonnante complicité artistique. Frère Gilles a rejoint l’abbaye de Landévennec en 1976 et s’est promis d’y vivre jusqu’à la fin de ses jours. Originaire des Landes, Aïcha Dupoy de Guitard vit au-dessus de la rade de Brest, depuis vingt ans. Bodysurfeuse, cavalière, photographe d’une nature apaisante, elle impose un style et une sensibilité bien à elle. Plus que jamais finistérienne. Le titre de ce nouvel ouvrage,

« Infinitudes », contraction d’infini et de solitude, s’est imposé à la photographe, un matin de grand calme, en rade de Brest. « J’étais dans mon kayak, suspendue entre ciel et mer. La brume enveloppait le fond de la rade, comme souvent le matin. J’évoluais dans un entre-deux indéfinissable. » Leur rencontre remonte à une dizaine d’années. «C’était dans un chemin creux, un passage étroit, se souvient Gilles Baudry. Elle était sur son cheval, j’étais à pied», raconte le moine de l’Abbaye de Landévennec, habitué aux promenades solitaires.

Leur amour indéfectible de la nature éclôt avec « Matin des arbres », sorti en 2017. Suivent « Eaux intérieures », en 2019, et « Infinitudes », en 2024, où la photographe décide d’emmener le moine bénédictin vers le grand large. « Je suis un terrien, originaire d’un trou perdu près de Nantes. Je suis plutôt un homme de l’estran. Ma vie est ici, entre la rivière et la forêt de Landévennec. Lorsqu’Aïcha m’a proposé d’accompagner ses images de mer, j’ai ressenti un grand vertige mais, en même temps, l’attrait de ces horizons infinis. »

Journées bien remplies

Pour frère Gilles, la nature et ces moments suspendus sont l’expression de Dieu. « On aime le silence, la solitude, on aime vivre retiré, chacun à notre manière », précise la photographe, non croyante. Curieuse de la vie de la communauté religieuse, Aïcha Dupoy de Guitard est venue photographier, une année durant, les frères de l’abbaye. « J’avais carte blanche. J’ai partagé leur quotidien. Nous en avons fait une exposition. Sans leurs visages photographiés, certains auraient laissé peu de traces. »

Les rencontrer et marcher à leur côté, depuis le parc de l’abbaye, prolonge le plaisir de lecture. Calme absolu, nature inspirante. « Des auteurs viennentsouventme voir ici, explique Gilles Baudry. Nous parlons poésie et de bien d’autres sujets. » Et comment ne pas évoquer les multiples tâches à effectuer au sein de la communauté, passée d’une trentaine de moines à son arrivée, en 1976, à seulement quatorze aujourd’hui ? Accueil des visiteurs, gestion de la bibliothèque, confection des pâtes de fruits, écriture collégiale de chants religieux (hymnes), rédaction de la chronique de la communauté… Le chantre démarre à 5 h du matin, par une première prière(six dans la journée).

À 76 ans, ce n’est pas le travail qui manque, avec une courte journée de désert (repos) par mois. « Je serais incapable d’écrire des romans avec des personnages qui m’occuperaient trop l’esprit, alors que les textes courts me laissent toute liberté. » De son côté, Aïcha Dupoy de Guitard ne se lasse pas d’arpenter sa presqu’île où la mer et le ciel se confondent. Sur certains de ses clichés, un humain, face à l’immensité de l’océan… « Ici, émotions et beautés ne font qu’une. Il suffit de prendre le temps de regarder. »