Dans ma main droite, je peux tenir la douzaine de livres que nous avons publié ; dans celle de gauche, serrer à peu près autant de numéros de revue. Soit le fruit d’un travail qui s’étend sur une vingtaine d’années et qui — puisqu’il n’est pas clôt — s’augmente d’un ouvrage (ou deux) par an.
Cela fait beaucoup d’arithmétique pour peu de choses, me direz-vous, et pourquoi annoncer — en guise de bienvenue — cet aveu de faiblesse ? Un ami me répondrait que la qualité d’un catalogue d’éditeur de poésie s’évalue, en premier lieu, à l’aune des textes qui le constitue, c’est-à-dire à sa valeur intrinsèque ! Je le remercierais, mais objecterais qu’on ne peut pas complètement occulter la question de la quantité. Pour étayer mon propos, je lui citerais ce passage de Pierre Bourgounioux* où l’auteur du Matin des origines évoque cette tension qui traverse la littérature, et qu’on reconnaît « à l’espèce de crépitement qui entoure chaque mot ».
Et précisément, cette « haute tension qu’on décèle sous les pylônes » a besoin de fervents intercesseurs qui veillent à « maintenir le contact ». D’où mon admiration pour ces éditeurs courageux qui ont su — et savent encore — s’engager dans la bataille, en faveur d’une parole singulière, existentielle, authentique. Car, dans le camp d’en face, nombreux sont les gestionnaires qui étourdissent nos esprits de mille et mille sollicitations marchandes, via la basse tension des réseaux vituels.
Alors, la poésie aujourd’hui, qu’a-t-elle à nous proposer ? Un chemin vers le réel intérieur — soustrait aux shoots de dopamine qui brouillent les cœurs et les âmes — ainsi que le don d’une perception attentive.
Yvan Guillemot (novembre 2019)
* Pour le n° 7 de la revue Chemins, il nous a fait le don d’un essai sur les arbres. Éditer, c’est aussi s’autoriser à faire des rencontres passionnantes.